Rappelle toi.
De retour du bar de Chris, suite à ma conversation avec Evy Evans, le chemin fut long. Je décidai de le faire à pied, profitant du vent, de plus en plus froid en cet fin de mois d’octobre. C’est tout naturellement que j’avais remis mes gants et plongé mes mains dans les larges poches de mon manteau. Puis je m’arrêtai. Le sourcil arqué.
« Mince. »Mince. C'était le cas de le dire.
Je me remis en marche et passai devant une cabine téléphonique, éclairée par la lumière tamisée du lampadaire, au-dessus d'elle. Je m'étais juré de ne plus prendre cette route pour traverser. Ce soir, les réflexes m’eurent rattrapé. Je hais cet endroit. Le lieu même où mon meilleur ami est mort. Avais-je seulement rendu visite à sa femme, depuis ? Et sa fille. Je regrettai de ne plus voir la bouille enfantine de cette petite, dans les doigts de Maes.
Maes avait été, en quelque sorte, la seule personne avec qui j'étais moi-même. Depuis que nous nous étions rencontré à l'école d'officiers, nous avions partagés énormément d'anecdotes sur nos vies respectives. Nous refaisions le monde autour d'une bouteille. Ou plusieurs, peu importe. Nous cherchions des solutions à tous les problèmes du monde. Et à l'époque, nous pensions réellement pouvoir les corriger.
Maes emportait avec lui, nos souvenirs de jeunes adultes. Nos soirées alcoolisées où nous finissions bras dessus, bras dessous dans les rues d'East City. Nous cachions nos visages sous nos manteaux tout en titubant, riant sous nos capes et se tapant les murs, sans voir où nous allions. Il y avait une fois où il avait brisé ses lunettes. Le malheureux en riait si fort, aveugle et était rentré en collision avec une poubelle vagabonde. En plein délire, nous avions entendu les voix de passants non loin de là et en panique, étions rentrés dans la grosse poubelle. Nos pieds dépassaient encore. Et on riait comme de jeunes cons.
Je n'eus pas honte de repenser à ces moments. Nous avions profité joyeusement. Et c'est sans doute pour cela que nous sommes devenus des adultes aussi responsables.
[…]
J'étouffai furtivement mon sourire alors que je continuai ma route en direction de mon appartement. A cette heure-ci de la nuit, il n’y avait guère de monde. Mais je ne voulus pas paraître pensif. Voilà que je me mis à repenser à toutes les sottises que nous avions faites, tous les deux ;
Il y a onze ans, j'étais l’élève de Berthold Hawkeye en plus d'être admis à l'école d'officier. En parallèle, Chris ignorait mes subites motivations quant à l'armée. Je le cachai à la fois à celle-ci, mais aussi à Hawkeye qui n'adhérait pas à l’État. Au final, il se trouve que c'est lui qui avait raison. Mais autrefois, j'étais si naïf que je tentais de lui prouver par tous les moyens que l'armée était le soutien du peuple.
En gros, j'étais tiré de tous côtés. Et Maes était ma seule distraction. Enfin l'une des seules, quand il ne s'agissait pas d'aller draguer des jeunes femmes dans les bars. Il y a un début à tout.
Il nous arrivait de décider certains soirs, de le faire ensemble. A deux contre les demoiselles, nous ne parvenions à rien. Mais qu'est-ce qu'on riait ! L'internat de l'école dans lequel nous logions avait pourtant un règlement strict. Nous devions respecter un couvre-feu. C'était comme priver un enfant d'une gourmandise, à l'heure du goûter. Alors nous sortions en douce. C'est pourquoi, généralement, lorsque nous croisions des personnes, nous nous cachions. Mais nous avions fini par nous faire pincer. L'unique avertissement de ma vie. Ce jour-là, nous avions gagnés en maturité en écoutant les remontrances de notre officier en charge. Nous avions compris notre soudaine bêtise. Et grandis.
[…]
Mes pieds frottèrent le palier de mon bâtiment. Je rentrai à l'intérieur, laissant dans mon dos le bruit grinçant du portail. Deux étages plus tard, je fis face à ma porte. Le pouce et l'index contre mon nez, je fixai la couleur terne et beige de la cloison. Ce soir, j'avais pris un sacré coup dans le nez en tombant comme un mollusque, sous les yeux de Evy Evans. C'était la première fois depuis des années, que je me ridiculisais ainsi. Un autre souvenir traversa mon cerveau ; Maes était avec moi, le premier jour où j'avais utilisé une arme. Nous étions de fraîches recrues, sans aucune expérience. Si ce n'est l'instruction des livres et des schémas papiers. L'officier responsable avait démonté une arme sous nos yeux, en un temps record. Il l'avait ensuite remontée et visé une cible en carton. Sa balle de 7,5mm avait éventrée le point central. Il nous avait ordonné de faire de même. Aussitôt, les élèves consciencieux que nous étions s'étaient mis à l’œuvre. Avec Maes, nous nous défions quant à savoir lequel des deux serait le meilleur. Nous n'avions pas besoin de mot. Un furtif regard nous avait suffit. Alors je démontais mon fusil d'infanterie. Ceci consistait à ouvrir la culasse et dévisser la vis située sur celle-ci. Puis il fallait s'occuper de celles du pontet. Tout nos gestes devaient être précis. Et il ne s'agissait que de la première étape. Il fallait ensuite séparer l'ensemble canon-boîte de culasse de bois. Puis démonter la culasse en petites pièces. Le chien, le percuteur, le ressort du percuteur...
Même si à présent, je n'utilise plus vraiment les armes, j'en connais un sacré rayon.
Et ce jour-là, j'avais battu Maes à plate couture. Ravi mais sérieux, j'avais remonté mon arme avec tout autant d'habilité. Sous les yeux attentifs de mon officier en charge, j'avais levé le fusil et visé la cible en papier. Et le ridicule avait achevé ma prestation, alors que l'appui-joue percutait mon visage sans douceur et que ma balle partait sur la cible. Je n'avais pas pris le temps de me positionner correctement, trop heureux d'être le premier de nous d'eux, à finir. Et mon nez, ainsi que Maes s'en souvinrent. Depuis ce jour, ma patience s'était aiguisé.
Je regrettai nos conversations. Ses conseils. Son rire. Il m'était arrivé d'être aussi de bonne compagnie. A l'époque, je l'étais d'autant plus, car je n'avais pas encore vécu le pire moment de ma vie.
La déclaration de son décès m'avait fait l'effet d'une douche glacée. Je regrettai énormément, mais heureusement j'étais un homme boursouflé d'optimisme. Par exemple, j'étais persuadé qu'un jour l'autre, je trouverais le coupable.
[…]
Soigneusement, j'évitai le miroir encadré à l'entrée de mon couloir et soutint ma veste au porte-manteau. Mon gramophone attendait sagement sur le buffet du salon, aux côtés du canapé. Je soufflai d'apaisement en entendant les premières notes de musique se disperser dans la pièce. La voix de Chauncey Olcott ne se laissait pas avaler par les interférences, ni la trompette qui l'accompagnait.
« Tu as une larme à l'œil et je me demande pourquoi,
Car elle ne devrait pas y être du tout.
Avec un tel pouvoir dans ton sourire, c'est sûr que tu séduirais une pierre,
Et jamais une larme ne devrait tomber
Alors que ton doux rire mélodieux est comme une chanson féerique
Et que tes yeux brillants étincellent.
Tu devrais rire tout le temps et sourire les autres fois,
Aussi, fais un sourire pour moi. »
Ce fut instantané. Voilà que je me mis à penser à Riza. La jeune femme que j'avais connu, il y a onze ans. Avant tout ça. Il était rare de voir une demoiselle aux cheveux courts. La mode commençait à peine. Mais je me souviens que ça lui allait à merveille. Ses manières discrètes n'éteignaient pas son regard flamboyant. Elle était bien la fille de son père. Elle avait une manière bien à elle, de sourire. Et quand ses lèvres s'étiraient, son nez se retroussait durant quelques secondes.
Et puis, Berthold décéda. Le sourire sur la bouche de cette femme, se froissa. À l'époque, je pensais à tort que son esprit n'en serait que plus déprimé. C'était mal connaître Riza. Et sa discrète flamme, brûlante tout au fond de son ventre. Elle me confia le secret de l'Alchimie de Feu. Ce moment, encré dans ma tête, me boursoufla d'un malaise. Je fermai les yeux et me souvint ; dos à moi, elle avait ôté son chemisier noir. Le tissu coulait sur ses omoplates et je découvrais le tatouage qui prenait toute sa chair, de ses épaules jusqu’aux creux de ses reins. J'étudiais avec minutie le dessin sur sa peau. Elle ne bougeait pas. Son souffle, à peine perceptible, était régulier. Riza savait ce qu'elle faisait. Et elle était certaine d'elle. Elle me confia la clé des recherches de Berthold en étant ainsi persuadée que je ferais le bien avec. Et je le croyais aussi.
[…]
J’ôtai ma chemise et la laissa glisser sur le dossier du canapé. Face à l'entrée, sans porte, de la cuisine, je levai les yeux. Puis d'un bond, m'emparai des deux mains, de la barre de traction accrochée dans le bâillement.
Inspiration.
« Un. »Expiration.
L'image du dos mutilé de Riza, me hantait.
Inspiration.
« Deux. »Du jour, où elle me demanda de détruire les traces de l'Alchimie de Feu. Après la guerre.
Expiration.
J’avais claqué des doigts. Sans fermer les yeux. De nouveau, le souffle de la jeune femme était régulier. Avant que la flamme ne commence à dévorer sa peau…
Inspiration.
…Et elle… Elle était si courageuse. Et déterminée.
« Trois. »Expiration.
La seule fois où je pus avoir une idée de ce qu'elle avait ressentie, c'est lorsque je m’étais cautérisé l'estomac.
Inspiration.
Bon sang. Elle était bien plus forte que moi.
« Quatre. »Je relâchai la barre. Ma blessure au ventre s’éveilla doucement. Mes muscles tendus me firent comprendre ma douleur. Je calai ma tête contre le mur, les mains à plat, de chaque côté de mes tempes. La respiration chaude. Une sueur froide traça une ligne sur ma colonne vertébrale. J'expirai. Et riait. Silencieusement. Ma main droite descendit le long du mur et je collai mes phalanges contre la cloison, resserrant mes doigts dans ma paume. Puis donnai un coup ! Le mur intercepta mon poing. La première fois. Quand je tapai une seconde fois, avec plus de vigueur, il l'avala !
Mer...Je fermai les yeux, tentant de reprendre mon dû. Mais le mur refusa ma requête et égratigna le contour de mes ongles. Au même moment, je tentai de m'extirper Riza du crâne. Mais c'était comme vouloir plier le petit doigt, sans que l'annulaire ne bouge. Impossible.
Elle avait su séduire la pierre qui battait dans ma poitrine. J'ignorai totalement si elle avait une idée d'une chose pareille. Ça faisait, maintenant, des années que je nourris ce sentiment pour elle. Mais je savais camoufler mes émotions. Heureusement. J'arquai les sourcils en songeant à la tête qu'elle pourrait arborer si elle le découvrait.
Rien.
Rien dans son attitude, ses expressions ne me laissaient penser que c'était réciproque. Sauf… Peut-être… Les larmes qui avaient envahies ses joues, le jour où l'homonculus de la luxure lui avait fait croire à ma mort.
Je rouvris les yeux et fixai le mur beige.
Sa détresse, ce jour-là, m'avait plongé dans une colère coupable. Pourtant, je ne fabulai pas. Riza avait baissé les bras. C'était la seule fois.
[…]
J'extirpai mon poing du mur en grognant et m'assis sur la tête du canapé. Le gramophone ne chantait plus. Le disque tournait dans le vide.
Les yeux rivés sur le trou dans ma cloison, je baillai. Enfin, dans le mur que je louais. Une moue déforma mes lèvres, alors que je songeai à ma caution. Il fallait que je répare ça.
Le trou noir arbora des contours arrachés. Mais ce n'est pas un trou que je vis. Ce fut un cercle. Il me fit penser au tatouage de l'homonculus que j'avais brûlée. Le souvenir, raviva l'odeur présente de cette nuit-là. L'odeur de la chair en combustion. Et aussi celle de la peur. La vive douleur de voir mon subordonné sur le sol, gisant dans son sang. D'Alphonse qui s'effritait à mesure que le sadisme de l'homonculus se révélait.
Que signifiait ce tatouage en forme d'ouroboros ? Un serpent qui se mord la queue. Sans fin. Un cercle vicieux. Un cercle vicieux qui me fit penser à ce pays. Il se noyait dans les répétitions d'effusion de sang et de larmes. Les frères Elric étaient parvenus à briser ce cercle autour d'eux. Ils s'attelaient à présent à en reformer un nouveau, plus clair et joyeux. Ils avaient appris de leurs erreurs.
De mon côté, je continuai d'apprendre des miennes. C'est pourquoi j'étais persuadé d'être honnête et bon en ne révélant rien à Riza, de mes sentiments la concernant. Si je voulais gravir les échelons, je ne pouvais pas me permettre de la contourner de son rôle. Ni du mien. Au fond, j'en souffrais et ne manquais pas une occasion de satisfaire mes pulsions. Mais là encore, ce n'était que comédie. La plupart du temps, je fuyais corps et âme les demoiselles qu'il m'était donné d'aborder, la seconde même où elles m'invitaient à les rejoindre dans un endroit plus intime. Être amoureux n'était pas bon pour mes hormones.
Je haussai les épaules et soufflai.
À l'heure actuelle, la seule chose me permettant de monter en grade, était ma réputation. Alors il n'était pas question de ressembler à un ancien héros de la guerre, déprimé et hanté par les visages de ceux qu'il avait brûlé. Ni par les sentiments bons ou mauvais que j'entretenais vis-à-vis de mes supérieurs et subordonnés. Mais ces derniers ne manquaient pas une occasion de me rendre chèvre.
Je me laissai tomber sur le sol et au dernier moment, plaquai mes mains contre lui.
Inspiration.
Le poids de mon corps soutenu par mes bras, je parvins à faire ma première pompe.
Expiration.
Et je continuai, les songes en alerte.
Oui, ces derniers temps, je me faisais bien trop de souci pour eux. Ils étaient sous ma responsabilité. Et je n'aimais pas entendre de mauvaises nouvelles, les concernant.
Ces derniers mois, Central City était accaparée de tous côtés. La nouvelle d'un assassin à la peau basanée avait fait le tour du pays. Scar restait encore introuvable malheureusement. Je m'étais fais un sang d'encre pour le FullMetal, vagabondant dans les rues alors même que le suspect était recherché. Quel crétin ! Non, pas lui. Moi. Si j'avais été plus réactif, nous aurions pu le retrouver plus vite, ce jour-là. Et le gamin n'aurait certainement pas perdu son bras. Alphonse n'aurait pas été pulvérisé. Ils avaient vraiment failli y passer. Je détestais ça !
[...]
Puis il y avait eut l'attentat à la bombe. De mystérieux individus nous avait attaqués, un soir d'automne.
Mes biceps se contractèrent alors que je me redressai.
Les infiltrés. Nous ne savions que peu de choses à leur sujet et ceci m’irritait grandement. Les uniques informations qui me furent rapportés était la description d'un homme, sans aucun doute d'origine xinoise. Et enfin qu'un autre, sans description physique était fanatique des explosifs et des armes blanches. De ceci je m'en souviens pour avoir été témoin de la mort d'un civil sous leur joug. Ils le payeront. D'une manière ou d'une autre, ils le payeront ! Même si une partie de moi ne cessait de m'intimer de ferme ma gue...
Il y avait eut les apparitions mystérieuses de chimères, dans les rues. Riza, Jean et moi-même étions allés leur régler leur compte. Puis je ne cessai de faire les rencontres inopinées de chimères à moitié humaines. Angélica. Anjuu. Chiara. Et le soir où je l'avais vu se « transformer », mon sang n'avait fait qu'un tour. J'eus bien failli faire une énorme bêt... Connerie. C'est le mot. Il se trouva que Jean et Edward l'eurent aussi rencontré. Ce fut à la fois une aubaine et une inquiétude supplémentaire pour mon esprit abîmé.
Et puis il y avait Evy Evans. Le Colonel Evans. Ma voisine de bureau me paraissait autant suspecte qu’intrigante. Ce soir, cependant, j'avais ouvert les yeux sur une possible réconciliation. Il faudrait que je me donne le toupet d'aller aborder le Lieutenant Général Raven. Uniquement afin de connaître mes potentiels amis ou ennemis. A Central, il n'était pas aisé de savoir qui était qui.
[…]
Je m'affalai au sol, tout en sueur et me tournai sur le dos à l'instant même où ma blessure ventrale rechigna à se coller contre mon parquet. Je me cambrai pour parvenir à retirer ma montre à gousset de la poche de mon pantalon. Par réflexe et pure flemme, j'insistai dans ma position absurde, la langue au creux des lèvres. Quand je parvins enfin à sortir l'objet métallique, je le laissai pendre au-dessus de ma tête, observant les aiguilles qui parcouraient leur rotation régulière.
Le temps défile à une allure...
Et il est temps de prendre une douche.
Never-utopia - Modification Evy S. Evans