Histoire
Aux origines. [South Area – Village de Kady. 1889]
Une main calleuse et large s'abattit dans l'air, d'un mouvement vif et décidé, et termina sa route sur la joue tendre d'un jeune homme. Celui-ci ne broncha pas. Il regardait fixement le visage du cinquantenaire qui venait de le gifler. Il s'était attendu à ce genre de réaction, il avait anticipé la douleur, et pourtant une unique larme de douleur perla malgré lui de son œil droit. La colère cuisante de son agresseur s'était révélée bien plus puissante qu'il n'aurait pu l'imaginer. Mais cela lui était égal, ils ne pouvaient rebrousser chemin à présent.
« Le bébé viendra au monde ici, ou là-bas, peu importe, mais il verra le jour. Vous ne pourrez pas l'empêcher, père. »Le vieil homme, le regard furibond, lui agrippa vigoureusement le col de son uniforme bleu.
« N'as-tu donc aucune excuse à faire ?! Comment oses-tu salir le sang des Braüns avec une vulgaire traînée ish- »« Je vous arrête tout de suite, cette ''traînée'' est mon épouse à présent. Encore une insulte venant de votre bouche sénile, et vous pourrez dire adieu à moi, ainsi qu'à votre descendance. Et je veillerai à ce que notre alchimie, le travail de votre vie, tombe à jamais dans l'oubli. »Les mots claquèrent plus durement que la gifle. Le père chancela, relâcha son étreinte et tomba assis dans son fauteuil. Dans un souffle, il marmonnait que son fils n'avait pas le droit, même si au fond de lui, il le savait capable de tout. Eole avait toujours eu ce caractère difficile et cette envie de ne pas faire comme tout le monde. Mais là. Ramener une Ishvale, c'était déjà un tort en soi. Mais la mettre enceinte ! Il regarda son unique héritier, impuissant.
Au même moment, un cri de femme retentit dans la grande maison. Il y eut des pas pressés à l'étage et dans l'escalier, et une petite servante, toute rouge, finie par arriver.
« Le b-b-b-bébé Monsieur ! »Espoir naissant. [South Area – Rush Valley. 1900]
Le soleil ardent réchauffait chaque parcelle de leur corps, impossible de lui échapper en ce lieu rocailleux. La terre sainte des automails. Ici, la plupart des personnes en étaient équipées ou étaient spécialisées dans le domaine de la mécanique. Et c'était bien la seule raison qui pouvait amener les visiteurs ici, car on ne pouvait pas dire qu'il s'agissait d'un paradis terrestre. Eole s'arrêta un instant de marcher, et, en faisant attention à ne pas lâcher sa fille accrochée par des grandes toiles dans son dos, il s'essuya le front. Ses yeux cherchaient désespérément l'enseigne du mécanicien avec qui il avait pris rendez-vous. Sa chère épouse était partie faire le tour de l'autre moitié de la ville, ils s'étaient séparés il y a à peine un quart d'heure, mais il commençait déjà à s'inquiéter pour sa douce. Les tensions présentes entre Amestris et Ishval rendaient nerveux la plupart des gens qui la croisaient. Il prit une profonde inspiration et se remit en marche. Finalement, quelques minutes plus tard, il finit par tomber dessus : Eiifil's ShoppyShop. Le nom était vraiment désastreux, mais si son père le lui avait recommandé, ça ne pouvait être qu'un mécanicien compétent. Il entra dans la boutique.
Dès qu'il eut passé la porte, un grand gaillard se pencha sur lui, l'air dubitatif.
« Qu'eski'l vous faut m'sieur ? » Le gros cigare qu'il avait aux lèvres l'empêchait d'articuler correctement.
Eole se présenta alors rapidement, en rappelant le rendez-vous qu'il avait pris par téléphone. Le bonhomme hocha la tête.
« Ah ouais, pour vot' gamine là. J'me shouviens. Bah posez-la, que j'lui prenne les mesures. »Avec délicatesse, l'homme déposa sa fille sur le siège que lui indiquait le mécanicien. Il ôta alors les langes qui l'entouraient, dévoilant deux jambes qui s'arrêtaient un peu en dessous du genou. La gamine garda toutefois une partie des draps rabattus sur sa tête et sur son visage. Eiifil s'accroupit près d'elle et commença à observer sa morphologie. Il prit quelques outils, une feuille de papier et se concentra sur ses calculs.
Une heure s'écoula ainsi, Eole avait finalement été rejoint par son épouse, et ils attendaient patiemment sans dire un mot. Leur petite ne bougea pas, et ce même si elle avait toujours détesté qu'on lui manipule ses moignons.
« J'ai tout c'qui m'faut. Mais p'tite, faut quch'te prévienne : pour que'qu'un qu'a jamais marché, ça te f'ra tout drôle. »Elle se redressa alors, le drap qui la couvrait glissa, révélant sa chevelure blanche, ses grands yeux rouges tristes, mais surtout un œil cerné de noir. Le mécanicien se retourna alors brutalement vers son père, stupéfait et hors de lui. Mais avant qu'il n'ait pu dire quelque chose, la petite l'agrippa par la main, et lorsque leurs regards se croisèrent, elle lui fit non de la tête. Non. Ce n'était pas papa. Non. Ce n'était pas familial. Les enfants peuvent être bien plus cruels que les adultes parfois.
Adieu. [South Area – Village de Kady. 1903]
Ses petits pieds métalliques se balançaient doucement dans le vide. A quatorze ans, la petite Elyah avait débuté le long apprentissage de l'alchimie métallurgique auprès de son grand-père. Le vieil homme n'était pas très démonstratif, mais il ne pouvait cacher son plaisir à partager son savoir. Mais là, comme à chaque début d'après-midi, il s'était mis au repos, assis dans son fauteuil, le regard perdu au delà de la fenêtre. La jeune fille avait pris pour habitude de lire d'elle-même. Elle n'en n'était qu'à la théorie de toute manière. Elle avait assimilé les bases, ainsi que les règles et interdictions entourant cette pratique. Dans un soupir, elle referma le livre. Elle l'avait déjà lu deux fois. Et demi. Elle le reprendrait sans doute encore demain.
Ses pas la conduisirent à la grande cuisine. Sa grand-mère était assise, elle lisait le journal en buvant un café bien serré. A son entrée, la dame releva la tête et lui adressa un sourire tendre. Mamy l'avait toujours aimée, malgré son physique qui lui avait trop souvent attiré du malheur. Elle lui offrit un biscuit, que l'adolescente accepta avec plaisir. S'installant à côté de son aînée, elle posa sa tête sur son épaule et ferma les yeux. La main frêle et sèche lui caressa tendrement sa détestable tignasse blanche. Mais Elyah oubliait. Si Papy faisait toujours des manières, avec Mamy, elle oubliait ses différences. La chaleur tendre de sa grand-mère lui rappela celle des câlins de sa mère.
Une servante entra alors timidement dans la pièce.
« Excusez-moi Madame, mais une voiture militaire est entrée dans l'allée. »A peine eut-elle fini sa phrase qu'Elyah avait déjà sauté sur ses pieds, toute joyeuse.
« Papa et Maman sont rentrés ! »Bondissant, elle se précipita jusqu'à la porte. Elle l'ouvrit en grand et se rua à l'extérieur. Mais au fur et à mesure qu'elle avançait vers la voiture, elle ne put s'empêcher de ralentir et d'observer curieusement les personnes qui sortaient du véhicule. Les hommes avaient le même uniforme bleu que son père, mais il n'était pas parmi eux. Leur visage était sévère, comme si quelque chose les pesait. Elyah n'était pas stupide. Elle comprit. Les larmes perlèrent sur ses joues, et elle tomba à genoux.
Adieu, encore. [South Area – Village de Kady. Octobre 1914]
De longs doigts fins caressèrent la vieille couverture de cuir du livre abandonné sur la table. Depuis la mort de ses parents, elle n'avait plus réussi à le rouvrir, mais elle ne pouvait pas pour autant s'en séparer. Son regard passa sur la fenêtre, s'arrêtant un instant sur le cimetière familial, au fin fond du jardin. Ses grands-parents avaient érigé des tombes commémoratives pour ses parents, et à présent, ils dormaient à jamais à leurs côtés, spirituellement parlant. Elle était la dernière Braüns encore en vie.
Cette idée lui arracha un soupir. Elle se leva et s'avança jusqu'à la fenêtre. Papy, en apprenant la mort de son fils et de sa belle-fille, avait subi un choc traumatique important, si puissant qu'il en perdit l'usage de ses jambes. Mais s'il ne marcha plus par la suite, il finit par se ressaisir et par se concentrer sur son apprentissage alchimique. Il lui transmit tout son savoir, et lui fit don de toute sa collection littéraire. Quelques années après, une fois son entraînement en alchimie terminé, il l'envoya à Rush Valley, auprès de Eiffil et de son fils afin d'apprendre le combat, le mécanicien étant un ancien militaire, il les fit suer sang et eau jusqu'à ce qu'ils soient tous les deux fins prêts. Son fils à reprendre la boutique familiale, et Elyah à trouver un sens à sa vie...
**Flashback**
« P'tain mais bougez vous ! On dirait deux macaques q'savent pas se t'nir droit ! Plus haut les bras Lyly ! »La jeune fille grogna dans sa barbe imaginaire et, redressant son corps, étira ses bras vers le ciel. Tenir cette position était censé leur permettre de s'assouplir. Pour le moment, elle ne ressentait que de l'inconfort et une douleur sourde dans le bas du dos. A côté d'elle, Eugène n'en menait pas large. Grand gaillard comme son père, il n'était pas fait pour les exercices de souplesse ou qui demandaient trop d'endurance, là où au contraire elle avait plutôt tendance à exceller. Mais bon, ce n'était pas ce qu'elle préférait au cours de ces séances d'entraînement, le mieux c'était-
« STOP ! C'est bon, mes yeux ont assez souffert de votre incompétence ! C'est l'heure d'vous castagner sec. Allez ! Bougez vous bordel ! GOGOGO ! » brailla le vieux Eiifil en s'allumant un nouveau cigare.
Elyah joint les mains en signe de ravissement. Enfin ! Elle avait attendu cela toute la journée ! En quelques pas bondissant, elle vint prendre place en face d’Eugène, assez loin pour réfléchir à sa tactique du jour. Elle jeta un œil à ses épées, sagement remisées dans le râtelier sur sa gauche, tandis que son ami lorgnait sur son propre armement, à savoir son gros fusil à deux coups et son incontournable bâton en bois recouvert de fer. Un sourire éclaira le visage de la demoiselle : c'est qu'elle avait un atout dans sa manche aujourd'hui, et si tout se passait comme prévu, ses heures de travail nocturne allaient enfin payer !
Les deux jeunes se jaugèrent un moment, et, d'un coup, ils partirent en courant vers leurs armes respectives : Eugène s'empara seulement de son bâton, tandis qu'Elyah dégaina ses deux épées. Elle se retourna, juste à temps pour le voir fondre sur elle.
Elle para, le repoussa, et lorsqu'il revint à la charge, elle croisa l'extrémité de ses lames avant de les planter dans le sol. Les laissant là, elle posa vivement ses paumes sur le sol. D'un coup, un mur de pierre se dressa entre eux, bloquant le coup ascendant du jeune homme. Ce dernier recula, surprit. Quand avait-elle eu le temps de tracer un cercle ? Il regarda le sol mais ne trouva nulle trace de craie. Il repoussa le doute qui voulait l'envahir, s'éloigna de quelques pas et retenta une attaque sur un autre front.
Cette fois, elle croisa ses épées devant lui, pour stopper son attaque. Le bâton était lourd, il était censé briser sa garde. Mais les épées tinrent bon, comme si elles étaient renforcées. Eugène tempêta, mais comment faisait-elle ?!Eiifil éclata aussitôt d'un rire gras.
« BAWAHAHAHAHAH ! Pas mal gamine ! Je sais pas comment tu fais mais pas mal ! »Eugène rougit de ne pas avoir compris plus vite que son paternel. Il changea sa posture, se mettant plus en position défensive et décida d'attendre une charge de la part de la demoiselle. Mais elle ne vint pas. Eiifil leur fit signe de s'arrêter.
« C'pas mal, Lyly, ton truc là. Mais explique pour voir. »« C'est plutôt simple, » dit-elle en montrant ses lames,
« j'ai d'abord pensé à graver trois cercles qui me permettent des transmutations différentes. J'ai eu l'idée grâce à mon grand-père : autrefois, quand il était encore dans l'armée, il utilisait deux pistolets sur lesquels étaient déjà gravés des cercles. Quand il tirait, il modifiait les balles pour leur donner une forme de spirale, cela lui permettait de faire des tirs plus précis et plus perforants. »« Du coup, toi tu t'fais des boucliers. »« Non, ça c'est autre chose. dit-elle en révélant les tatouages fraîchement inscrits sur ses mains. La technique de mon grand-père ne se prête pas à mon style de combat, du coup, plutôt que de graver mes épées, je me suis gravée moi-même. Je connais toujours par cœur les compositions des mélanges des métaux, mais bon, on va pas se mentir, c'est pas facile de prendre le temps de tracer un joli cercle quand Eugène veut m’assommer avec son gros bâton. »Eiifil partit d'un rire qui explosa dans toute la vallée. Les jeunes se regardèrent, d'abord sans comprendre, et quand finalement le sous-entendu les percuta, il le fit avec la puissance d'un camion lancé à fond dans une descente. VRRRRBOUUUUM.
**Fin du Flashback**
Il était hors de question pour elle de rejoindre l'armée. Très peu pour elle. Mais mettre son alchimie au service d'autrui, pourquoi pas. Et surtout, comprendre pourquoi Ishval avait été ainsi rayée de la carte par l'armée. Pour cela, elle avait décidé de s'équiper et de partir sur les routes. Un nouveau soupir se glissa à travers ses lèvres. Elle n'était pas rassurée. Pas du tout. Elle prenait sans doute cette décision un peu à la légère, mais qu'importe. Parfois, dans la vie, il fallait seulement savoir se lancer. Elle resserra une dernière fois les vis de ses automails, remonta ses bottes afin de les dissimuler, attrapa son sac et quitta le manoir familial, ne laissant là que la famille de la servante la plus fidèle de ses grands-parents, avec l'autorisation de vivre ici et de profiter de la vie.
C'était mieux ainsi.