Central city, crépuscule, octobre 1914
Il posa une main sur cette vitre. L'autre fit de même. Rien ne les différenciait si ce n'était cette barrière de verre qui les séparait. Doucement, il effleura du doigt la vitre et son homologue fit de même. Puis il laisse tomber sa main et contemple son jumeau faire de même. Un long soupire s'échappe de son casque vide. Une longue plainte silencieuse adressée au ciel, à un Seigneur absent, qui les avait abandonnés. Pouvait-on vraiment croire en Dieu lorsque l'on avait perdu sa mère et son père ? Pouvait-on vraiment espérer le miracle lorsque la solitude s'emparait de nos nuits ? Pouvait-on seulement exister lorsque l'on avait plus de corps autre qu'une armure de fer ?
Existait-il seulement ? Lui que rien ne définissait si ce n'était cet autre lui dans cette vitre. Si ce n'était le reflet de son âme tourmentée qui n'arrivait à s'extirper de ce cercle vicieux. Nouveau soupire. Doucement, il touche à nouveau cette vitre, ce reflet qui était sien, ce reflet qu'il avait contemplé maintes fois depuis ce fameux jours où il avait tout perdu. Oui, il avait perdu son corps, sa mère ainsi qu'une partie de son âme. Oui, il était devenu vide, inexistant, un paradoxe en ce monde fait d'une magie dissimulée aux yeux de tous sous le nom d'alchimie. Oui, le doute s'installait en lui alors qu'il contemplait de ses yeux rouges ce reflet qu'il refusait maintenant. Il n'avait pas eu d'enfance, il n'avait pas connu l'innocence et l’insouciance. Le pire étant pour son frère.
Enfin non, pour ce frère qu'il ne connaissait plus. Pourtant il l'avait toujours côtoyé. Oui, toujours. Il l'avait toujours vu, protecteur. Mais... Ses souvenirs étaient-ils bien réels ? S'il avait un corps qui défiait toute science, alors son esprit, ses souvenirs, pouvaient bien faire de même, non ?
Il se recule et se contemple une dernière fois avant de tourner les talons et de continuer à errer dans cette ville si grande qu'elle en devenait impersonnelle. Personne n'était personne. Chacun avait son histoire et ses problèmes mais ils étaient si infimes dans le poids du monde qu'ils en devenaient insignifiants. Et lui, homme de fer, et lui, qui n'avait pas de chair pour combler le vide de son armure, et lui qui se demandait s'il avait une âme, et lui, il était encore plus petit et insignifiant que tous les autres. Ce n'était pas un nom qui allait définir ce qu'il n'était pas : un Homme, un être de chair et d'esprit. Un être sur qui la mort avait une emprise, que le temps altérait au fil des années. Non, il n'était qu'un morceau de métal immortel.
Pourtant... Oui, on lui eut dit qu'il pouvait un jour mourir, qu'en réalité il n'était qu'une bombe à retardement. Oui, on lui avait soufflé qu'il n'était pas si immortel que ça et que finalement, il ne verrait pas mourir son frère avant lui. Il esquisse un sourire sur ce visage de métal immobile. Partir avant Edward, c'était lui faire le plus beau des cadeaux empoisonnés. Partir avant l'aîné, le laisser seul, dans sa souffrance intérieure... Mais quel âge avait-il pour penser ainsi ? 14 ans lui avait-on dit. Mais... Il semblait qu'il eu eut plutôt une éternité. Il avait l'impression d'avoir compris le monde, compris l'existence même de la vie. Mais il n'en était rien, toutes ces nuits passées à contempler l'astre lunaire sans jamais réfléchir à rien d'autre qu'à lui même. Il jouait les égocentriques sous ces airs de généreux. Il souhaitait l'attention d'autrui, et donnait en espérant recevoir en retour. Le principe d'échange équivalent, qui ne s'appliquait, malheureusement, qu'à l'alchimie.
L'armure zigzaguait entre les passants, levant parfois les yeux vers le ciel se parant des plus belles couleurs qui soient. Du bleu au rose en passant par l'orangé. Il inspirait tant la sérénité qu'il s'arrêta pour le contempler, ce fin sourire sur ce visage imaginaire. Il n'avait point besoin de parler ou d'écrire, juste regarder le ciel suffisait à le calmer. Du moins, c'est ce qu'il pensait. Baissant les yeux, il remarque son reflet de nouveau. Ne cessera-t-il donc jamais de lui rappeler qu'il est à ce point ancré dans un monde qui n'est pas le sien ? Ancré dans un monde qui l'enferme mais ne veut pas de lui ?. Au final, sa seule ancré était Edward. Car même Winry n'était, au final, qu'une ligne parmi tant d'autres dans ce vaste océan qui composait ce semblant d'âme.
Il était là, seul au milieu de cette foule anonyme, impersonnelle. Il était là, ne jugeant personne d'autre que lui-même. Il était là, à combattre une entité qui s'appelait existence. Il avait mal mais se forçait à démontrer le contraire. Lève toi et marche, marche vers ton avenir, construis le, aussi inexistant sois-tu. Après tout, si tu es là c'est que, dans le fond, tu existes quelque part.