Qu’il était bon de se retrouver chez soi, à l’abri du tumulte de la politique chaotique de Central et d’Amestris en général. Si je gardais volontiers mon calme, on ne pouvait pas dire de même des Généraux du Conseil qui rentraient chez eux inquiets et devaient actuellement avoir du mal à garder trouver le sommeil. Cette pensée m’intriguait toujours, comment ces gens pouvaient-ils avoir pris part à un complot étatique et ne pas être prêts à assumer une potentielle défaite ? Ces gens voulaient être au sommet du pouvoir et avaient souscrit à la vie éternelle et à une armée invincible sans aucune considération pour les autres puisque cela était possible et qu’ils croyaient que le pouvoir du pays était lui-aussi invincible. Les événements récents avaient cependant pris une autre tournure, ces terroristes mettaient à mal mon autorité et donc compromettaient ipso facto le plan de mon Père. Je me doutais bien que sans la menace des Homonculi et l’immense puissance de notre Père, ces couards auraient déjà retourné leur veste, ils n’étaient donc encore là que par la peur. La peur, un sentiment que je ne connaissais pas, la possible défaite imminente d’Amestris ne m’inquiétait pas le moins du monde, je savais que quoi qu’il arrive je resterait ce que j’avais toujours été et j’irai même attaquer nos ennemis personnellement s’il le fallait. La motivation, le moral, la peur, la défiance...Je ne souffrais d’aucun de ces maux et je demeurais le même. La réalité était que l’ordre était maintenu.
Au fond, je ne pouvais que me réjouir d’avoir rencontré le Colonel Mustang, lui était un peu différent des autres. Je savais que ses idéaux l’empêchaient de trahir Amestris ou l’armée et en cela, il était beaucoup plus intéressant. Mustang pouvait jouer un rôle décisif dans l’arrestation de ces terroristes. Arrestation que je n’avais d’ailleurs aucune hésitation à théoriser et à conceptualiser car pour moi elle surviendrait tôt ou tard. Si mon Père avait été très directif jusqu’à présent, m’enjoignant de ne pas intervenir, la situation avait suffisamment empirée pour qu’il me laisse désormais rétablir l’ordre. L’ordre serait maintenu de manière durable et mes pièces se positionnaient petit à petit. Ces terroristes avaient arraché plusieurs victoires à l’armée en s’attaquant à nos troupes et même à la population civile lors d’événements publics, ils n’en étaient pas moins des meurtriers aux yeux du monde. Les révolutionnaires finiraient comme souvent dans l’histoire...C’est-à-dire mal. Le peuple se plaignait souvent du système, pourtant ce système avait quelque chose de rassurant et ce que proposaient ces gens qui tentaient de nous nuire était un système fondé sur le chaos, il n’y avait rien de neuf, rien de bon. Ainsi lorsque j’aurais à nouveau gagné la confiance de la population, il serait aisé de traquer la vermine et de l’exterminer comme le voulait la raison. La politique, la guerre et même finalement la vie en général n’étaient que de gigantesques jeux d’échec dans lesquels le plus important n’était pas le nombre de pièces prises mais bien la finalité et le dernier mouvement. J’avais été élevé pour ce petit jeu et j’avais par conséquent plusieurs coups d’avance.
Un nouveau défi qui m’excitait et attisait ma curiosité au plus haut point, pourtant, je demeurais dans la salle de séjour de mon manoir. Le silence était total, seulement rompu par le bruit régulier du mécanisme du balancier de l’horloge en bois massif qui ornait la pièce. La nuit était tombée et je demeurais là, vêtu d’un pantalon noir, d’une chemise blanche et d’un gilet de soie, bien confortablement installé dans le divan. J’avais pris un de ces livres de littérature classique qu’affectionnait ma femme afin d’éduquer Selim. Une bien triste histoire qui ne faisait pourtant qu’affirmer mon intérêt pour cette étrange bête qu’était l’Humain. Il y avait dans cette demeure un calme rassurant et pourtant, ma femme n’arrivait pas à dormir. Un problème récurrent dont elle m’avait fait part une semaine auparavant. En dépit de toutes mes tentatives pour l’aider à mieux dormir, le problème perdurait et elle ne voulait pas consulter, j’avais donc pris les devants et j’avais décidé de faire appel à une aide extérieure alors qu’elle était partie deux jours dans sa famille : j’avais chargé un des officiers qui assuraient l’intendance du Manoir de trouver un pharmacien qui pourrait me conseiller et surtout préparer un remède à base de plantes qui lui permettrait de mieux dormir. La chose n’était pas aisée, pourtant il avait trouvé quelqu’un grâce au conseil d’un des majordomes. Une femme dont on lui avait dit grand bien et que j’avais fait quérir. Je demeurais donc là à l’attendre, mon livre entre les mains. Il était sept heures du soir lorsque le majordome apparut accompagnée de cette invitée et que l’horloge sonnait sept fois. Je pris bien le temps de terminer la phrase que je lisais avant de mettre soigneusement un marque-page dans cet ouvrage déjà ancien.
-Eh bien, je n’aurais pas aimé être confronté au choix de ce Vorakys.
Je faisais bien évidemment référence au personnage central de cette tragédie antique que je lisais depuis déjà quarante minutes : un héros qui avait le choix entre épouser sa sœur ou assassiner son oncle, sous peine d’une énième colère divine qui s’abattrait sur sa descendance et sa famille. Les Dieux Humains me paraissaient parfois injustement cruels. Me relevant en souriant, je me rapprochais de cette femme qui affichait allure et une classe qu’on ne se serait pas attendu chez une simple pharmacienne. Je lui tendis une main chaleureuse.
-Je vous remercie d’avoir accepté de me rejoindre ici et m’excuse de vous avoir fait venir en cette heure tardive. J’espère que vous avez fait un bon voyage et qu’Alain n’a pas été bavard plus que de raison durant le voyage.
Je fis un sourire à l’officier d’ordonnance qui était allé la chercher. Cela faisait partie de mon personnage après tout, cette bonhomie cotonneuse qui n’était pas attendue de la part d’un chef d’état et qui contrastait parfaitement avec ma fermeté -parfois à la limite de la cruauté- qui me permettait de conserver mon autorité.