- MES DEBUTS QUELQUE PEU FOIREUX – (Hiver 1908)

Outre ce journal qui risque d'être un peu brouillon, et mes écrits totalement hasardeux – et oui papa je sais que tu es entrain de lire par dessus mon épaule, ne fais pas l'innocent… et maintenant que tu es parti, je peux écrire ici que je t'aime fort. Je sais que tu le liras, mon petit papa, je sais que tu liras ce que j'écris dans ce carnet dès que tu en auras l'occasion – c'est ma vie que je vais décrire ici, apparemment ce serait une bonne chose. Donc, par où commencer ? Le début peut-être. Oui, c'est bien ça.

Je suis née en 1896, comme la plupart des gens je ne m'en souvient pas mais mon papa, Alessandro,  m'a dit que c'était le jour le plus heureux et le plus triste de sa vie. En effet, ma mère n'a pas survécu à ma naissance. Chose courante, pourtant je sais que ça l'attriste beaucoup, et tout en sachant que ce n'est pas directement de ma faute je m'en veux de faire souffrir l'une des personne que j'aime le plus au monde. Ce sentiment constant de culpabilité a bien été alimenté par mes trois grands frères. Quand j'étais plus jeune et plus fragile pas un jour ne passait sans qu'ils ne me rappellent que ma présence n'était pas voulue. Abrutis.
Heureusement, Nonna était là ! Nonna c'est la maman de papa. C'est elle qui m'a éduqué pendant que papa travaillait comme un fou pour nous faire tous vivre. Nonna a eu 8 fils, elle savait comment gérer une famille. Elle m'a tout appris quand mon père, lui, ne savait plus quoi faire. C'est elle qui m'a appris à tenir tête à mes frangins, et au monde entier.

Papa travaille dans un pensionnat de jeune fille en tant que cuisinier, c'est grâce à son travail que j'ai pu avoir une place dans l'école et que j'ai pu étudier. Autant dire que je ne suis pas très douée pour les études. Je ne tiens pas en place. Jamais. Ce qui m'a déjà valu plusieurs exclusions de cours au grand damne de papa Manzetti – promis c'était pas pour t'embêter mon papounet ! - C'est au pensionnat que j'ai rencontré Ashline Beauchamps, elle passe beaucoup de temps en cuisine. J'admire son savoir faire, papa aussi. Il faut le dire, elle m'a sauvé des plans machiavélique de mon paternel qui espérait me voir lui succéder. Pourquoi « espérait » ? Parce que je n'ai pas ce qu'il faut pour cuisiner de bons petits plats. Combien de soupirs désespérés ai-je entendu lorsque la préparation d'une pâtisserie se transformait en carnage général empêchant toute identification de la pièce dans laquelle on se trouvait. Je trouve les couteaux bien plus intéressants.
Hier, j'ai parlé à papa de mon souhait de travailler dans une boucherie. Il a d'abord ris, arguant que ça m'irait bien, bourrin que je suis. Puis il a réalisé que j'étais sérieuse. Il riait beaucoup moins d'un coup.

- C'EST QUOI CE BORDEL ?! - (Été 1910)

C'est bizarre. Ce journal le l'ai toujours avec moi et pourtant je n'y écrit presque jamais. Wow… Aujourd'hui j'ai envie de gribouiller quelques mots. Quelques temps après l'épisode « révélation papa, je ne veux pas être une gentille fifille comme les autres je veux découper des animaux morts » Ashline est partie de la pension. Je l'admirais un peu cette fille, et si elle n'a pas voulu continuer cette école de malheur alors qu'elle avait tout ce qu'il fallait pour réussir alors moi je n'y avais pas ma place. Papa travaillait dur pour que je puisse y étudier, ça m'a fait mal de le décevoir. Quand j'ai finalement quitté l'école, il est venu me voir pour me dire qu'il comprenait mon choix et qu'il ne pouvait pas me forcer à suivre un chemin qui ne me correspondait pas. Il a ajouté, et ça je m'en souviendrai toute ma vie « tu n'es pas faite pour suivre les règles, tu es comme ta mère. Vis ta vie comme tu l'entends, mais fais attention à toi. S'il te plaît. »

Et ainsi je suis devenu bouchère. Enfin… Pas de suite. C'est pas commun une femme dans ce genre de métier. J'ai dû m'imposer. Le seul endroit où j'ai été engagée était tenu par un homme ronchon, au ventre bedonnant et à la barbe toujours mal rasée… quand elle l'était. S'il avait bien voulu m'apprendre et me laisser travailler pour lui c'était parce qu'il y était forcé par sa femme, une dame d'une cinquantaine d'année tout comme lui. Elle n'avait jamais eu d'enfant et elle projetais sur moi tout ce qu'elle n'avait pu donner à un enfant né de sa chaire. J'étais un peu son enfant par procuration, elle me protégeais beaucoup. J'en ai fait des bêtises, j'étais toujours excusée grâce à elle. Elle me rappelait un peu ma Nonna. Comme ce jour où un client impoli qui faisait toujours les même remarques sur le fait que je sois une femme et donc moins efficace qu'un homme pour le même boulot m'a hurlé dessus parce qu'il était pressé. J'étais partagée entre le laisser parler pour ne pas avoir de problème avec mon patron et hurler de la même manière. Tu te doute bien, petit journal, que ce client n'est plus jamais revenu et que moi je me suis bien faite engueulée. Mais elle était là, sa femme, et elle m'a défendue. Lui ne m'aimait pas, et à chaque engueulade avec sa femme il m'appréciait encore moins. J'ai gardé ce travaille grâce à elle, finalement. Il savait que je faisait du bon boulot, et ça l'énervait. Quand elle est décédée, il m'a viré.

J'ai d'abord pensé à retourner voir papa après tout ça, puis finalement j'ai cherché autre chose, n'importe quoi. Après plusieurs petits boulots qui me permettaient de survivre j'ai finalement trouvé une place en tant que standardiste dans une entreprise de téléphonie. A mon premier jour là bas, quelle surprise ! Qui je vois ? Ashline Beauchamps ! Oui je me suis jetée sur elle, mais que veux-tu on ne retiens pas sa joie ! Un des meilleurs moments de ma vie jusque là, des conversations bizarres on en a entendu, des commentaires on en a fait. Je me suis souvent faite réprimandée sur mon manque de sérieux.

Un soir où je rentrais à la petite pension où je dormais, je passais comme à mon habitude devant un bar assez bruyant, un homme un peu louche est venu m'aborder. Alors que j'accélérais le pas pour rentrer au plus vite l'homme bizarre et clairement alcoolisé m'a attrapé le bras. Je lui ai hurlé de me lâcher s'il ne voulait pas finir en steak haché. Il a rit puis est parti vomir dans une ruelle. Un peu choquée, je suis restée un moment à fixer le bar pour finalement rentrer me coucher. Le lendemain en allant travailler je suis passé devant le bar et j'ai finalement décidé d'y rentrer. Je n'en suis ressortie que le soir même pour aller démissionner de mon travaille de standardiste. J'avais raconté au gérant ma mésaventure de la veille et il avait décidé de m'offrir une pinte de bière pour la gêne occasionnée. J'ai d'abord refusé puisque je devais aller travailler, il m'a proposé d'au moins goûter la boisson. J'ai accepté. Révélation. Je lui ai demandé s'il cherchait quelqu'un pour travailler avec lui, il m'a dit que oui.

Depuis je travaille pour lui, j'ai même décidé de créer ma propre bière. Les clients les plus téméraires sont mes cobayes. Je sais que c'est bon, certains clients qui viennent de loin nous disent avoir entendu parler de mes expériences – et ils ajoutent tous être surpris par le fait que je sois une jeune femme. Le dernier qui m'a dit ça a même ajouté que je devrais plutôt me chercher un homme pour me marier et m'a proposer son fils qui était soit disant un bon parti. Il est reparti avec une bosse sur le haut du crâne et son ego bien abîmé. Ça a bien fait rire le gérant.

- JE FAIS QUOI MAINTENANT ? - (Automne 1914)

J'étais heureuse dans ce bar, pourtant une fois de plus je me retrouve à la rue. J'y suis restée un long moment avant que tout ne parte en vrille. Je n'en veut absolument pas au gérant, ce n'est pas sa faute si les temps son dur pour lui. Selon lui, il ne gagne plus assez d'argent pour me payer mais je sais qu'il a des ennuis, je l'ai souvent vu discuter avec des gens bizarres. J'ai fait ce que j'ai pu pour l'aider, mais il m'a ordonner de partir puisqu'il a décidé de fermer boutique à cause de ses « problèmes financiers ». Je ne sais pas de quoi il a peur mais ça m'inquiète. Je l'apprécie beaucoup et ça m'énerve de ne pas pouvoir régler ses problèmes, ça me rend malade de ne pas pouvoir protéger ce qui me tiens à cœur. Je profite donc de ma dernière soirée à la pension pour écrire ces quelques mots. Dès demain je repars en ville chercher du boulot. Il le faut, les rues commencent à être froides au mois d'octobre.