Le soleil n'était pas encore levé. Son appartement terminait sûrement de se consumer dans le feu qu'il avait laissé se propager. Logan se retrouvait devant la porte d'une boutique. Ses yeux le piquaient et son dos l'irritait. Il avait des crampes partout, le regard rougit par la fatigue et les joues pleines de bleus. Avant de se retrouver là, il avait tout de même fait l'effort surhumain de se laver car la substance qu'on lui avait envoyé dans la figure puait la mort à des kilomètres. Néanmoins, son besoin insurmontable d'opium le laissait avec des tas d'excuses pour ne faire que le strict minimum avant de retourner voir son fournisseur.
Il se renifla l'épaule en grimaçant. Toute l'odeur n'était pas partie. La chimère lynx qui l'avait attaqué savait comment faire pour le mettre dans des situations ingrates. Mais persuadé de l'avoir immolé dans son appartement, Logan était satisfait.
Chaque fois qu'il y repensait, il finissait avec un sourire enfantin sur le visage. Drogué d’adrénaline naturelle, il se sentait exfolié entre le manque et l'envie de crier de joie. Mais son fournisseur n'avait pas l'air d'être quelqu'un de commode, aussi se contentait-il d'afficher une mine ingratement entre les deux. Il sautilla presque en passant les portes de la boutique avant de s’arrêter devant le comptoir, les billets froissés et dépassant de sa poigne d'acier. Il pouvait commencer à sentir son récent auto-mail tirer sur son épaule de chair et la douleur sifflait et pinçait comme un rappel constant. Il avait hâte de revenir les poches pleines de drogue, ça oui !
Qu'il prenne tout ! Tout son argent s'il faut ! Le triple, le quadruple ! Logan ne pensait pas qu'il pourrait un jour finir à rouler par terre comme un enfant capricieux, mais il était bien à deux doigts de le faire alors qu'il attendait. Il était parti de l’hôtel dans lequel il avait posé bagage comme une fusée et tenait encore une poche de glace dans son autre main, servant à faire dégonfler l'hématome de son œil droit. La nuit avait été rude avec cette saloperie de chimère. Mais il ne retenait que la béatitude du moment passé et la victoire de lui avoir arraché une main avant d'avoir mit le feu.
L'homme qui allait lui fournir de la drogue était gigantesque. Un immense placard aux cheveux argentés avec un air doublement taulard. La première fois que Logan l'avait vu, il ne connaissait pas encore les effets du manque. A présent, il pourrait songer à répondre à n'importe lequel de ses besoins pour sa drogue. Impatient, il frétillait comme une cuisse de grenouille bien cuite. Il avait envie de sa dose !
Combien de temps attendait-il, bon sang ?! Il sortit maladroitement sa montre à gousset de son pantalon et la plaqua contre le comptoir, les gestes devenus fébriles par le manque. Il ouvrit le loquet et constata qu'une minute n'était pas passée. Il lui semblait attendre depuis un quart d'heure. Nerveux, Logan s'enfonça la poche de glace dans l’œil dans un « spoultch » accentué d'un sifflement de douleur. Il était bien conscient de l'heure matinale et de son allure désinvolte. Mais que pouvait-il invoquer comme excuse ? Ce n'était pas son genre de le faire et pour extorquer un simple petit « désolé d'arriver si tôt », il faudrait au préalable qu'il se taille la bouche avec un cutter.
Plus les secondes passaient et plus sa bonne humeur s'envolait avec la venue d’innombrables souffrances corporelles. Ce vendeur devenait pu à peu dans sa tête un messie des temps anciens, un père noël déguisé entre les insultes volages qui traversaient son crâne.
Espèce de salaud, tu va te grouiller, bordel de me... Putain, je t'aime, je t'épouse si tu me files ma dose... Grouille-toi, connard. Oh, je promets de le vénérer comme un dieu toute ma vie s'il ramène son cul dans les cinq secondes...
Une...
Deux...
Trois...
Ma dose, ma dose, ma dose, ma dose... Je veux ma dose. Je la veux. Je la veux. Je la veux. Je veux ma dose. Ramène ton cul. Ramène-le. Ramène, ramène, ramène !
« Quatre, murmura-t-il fébrilement en lorgnant le plafond. »
Putain, ça rend fou ces conneries. Dépendant d'une merde pareille... Non, ce que c'est bon. Ca fait du bien. C'est le pied. Faut qu'il arrive. Quoi qu'il fasse, qu'il se dépêche ! Je vais finir par aller le chercher, c'est pas possible.. Peut-être qu'il cache ses stocks par là ? Je peux peut-être les trouver avant qu'il arrive...
Il partit dans la contemplation minutieuse de la boutique, dans l'espoir futile de trouver de l'opium parmi les herbes vendues. Il avait la sensation d'en voir de partout même dans les endroits improbables.
Logan se gratta l'omoplate, ayant la ferme certitude qu'elle s'ouvrait en deux. Il siffla entre ses dents pour tenter d'éteindre la douleur mais voilà que son estomac réclamait autant d'attention. Courbé en deux, il était essoufflé sans avoir même courut et boursouflé de douleurs en tout genre, les unes plus aiguës que les autres. Il allait exploser.
Il tenta bien de se changer les idées en inventant des noms au herbe qu'il croisait du regard. Il ne connaissait pas l'utilité de la moitié d'entre elles et certaines étaient même de totales inconnues au bataillon.
Logan se laissa tomber sur les coudes contre le comptoir, la poche de glace contre l’œil, tenant une distance entre lui et la surface, les cheveux humides lui retombant sur le visage. Ils sentaient au moins le savon, épargnant l'odeur horrible que lui avait laissé la substance de poisson pourri du lynx sur ses vêtements.
« Un... »
Il recommença à compter dans l'espoir de voir brutalement apparaître Sereliam dans la pièce comme si ce dernier avait attendu le compte à rebours pour le faire. A cette pensée, Logan se mit à geindre dans sa litanie de chiffres et de lettres incompréhensibles.
Dieu, que c'est une épreuve d'être dépendant !
Il lui était même arrivé de prendre du papier pour écrire pour rouler du tabac, n'ayant rien d'autre sous la main pour le faire. Il commença alors à s'imaginer toutes sortes de scénarios.
Sereliam était peut-être en train d'agoniser dans l'arrière-boutique. Il prenait un bain ? Il baisait ? Il n'y était pas ? Il était sur le trône ? Il lisait un livre avec la radio à fond ? Il tuait des chèvres pour son repas de midi ? Il se faisait un sandwich avec des herbes médicinales ? Peut-être déjeunait-il ?
Combien de temps était passé ? Il fixa la montre sur le comptoir.
« Trente s... »
Trente secondes ! Logan releva la tête, incrédule. Impossible. Bon dieu, qu'il en avait envie ! Qu'il avait mal ! Le monde ne faisait que s’obscurcir et avec lui, des nuages de logique et des pulsions de raisonnement profilaient.